Les tractations qui ont eu
lieu ces derniers jours entre Macky Sall et ce qu’il est convenu d’appeler
« le peuples des Assises
nationales » ont porté, entre autres questions, sur l’épineux problème
du régime politique qu’il faudrait adopter dans la perspective d’une
refondation de nos institutions politiques. Question importante s’il en est,
puisqu’il s’agit de se demander comment faire pour que le Président de la
république ne puisse plus à l’avenir concentrer la totalité des pouvoirs entre
ses mais, ce qui est en contradiction flagrante avec le sacro-saint principe de la séparation des
pouvoirs. Comme chacun sait, les Assises avaient préconisé l’adoption du régime
parlementaire comme remède contre l’hyper-présidentialisme
incarné par Wade tout au long de son règne.
Dans la toute première
conférence de presse qu’il a donnée en tant que challenger du président sortant
au deuxième tour, Macky Sall, fidèle en cela à la doctrine qui avait été la
sienne lors des Assisses avait tenu à démontrer que dans le fond, nous n’avons
pas tant un problème de régime politique qu’un problème de démocrates. Ce qui
veut dire que quel que soit le régime politique, si les hommes qui sont chargés
de veiller sur nos institutions ne sont pas à la hauteur, les problèmes
demeureront. C’est par la suite, quand il a rencontré Amadou Maktar Mbow et les
candidats parties prenantes aux Assisses
qu’il s’est engagé solennellement à appliquer l’intégralité des conclusions de
celles-ci. C’est dire qu’il y a donc unanimité
autour de cette affaire. Or la question est loin d’être aussi simple qu’on le
croit, et pour mettre en évidence tous les enjeux que cela implique il faudrait
partir du fait qu’en matière d’institutions politiques, l’erreur à ne pas
commettre serait de croire que tout se résume en fin de compte à un simple problème
de montage juridique, ce que beaucoup
de sénégalais seraient tentés de penser au regard de l’hyper-juridisation de
notre débat politique. On ne peut pas concevoir des institutions qui sont
censées s’appliquer à une société donnée sans tenir compte des traditions
historiques et des spécificités culturelles et sociologiques de celles-ci. Les
institutions de la Cinquième République qui font rêver nos élites, et auxquelles
nous pensons spontanément lorsque nous parlons de régime parlementaire, ne sont
pas juste un montage institutionnel, mais le fruit d’une longue évolution
historique, dans un contexte social et culturel marqué par des luttes politiques
dont on n’a plus idée aujourd’hui. On pourrait même dire qu’elles participent d’une
certaine manière de l’identité politique française.
On voit par là que chaque
peuple, en fonction de son histoire et de son niveau culturel doit se donner
les institutions qui lui conviennent. Celles-ci pourront évoluer éventuellement,
en même temps que la sociologie toujours particulière de la société en question.
Un exemple suffisamment édifiant à ce sujet et qui devrait nous faire
réfléchir est celui du Niger. Lorsque ce pays s’est doté d’un régime
parlementaire et qu’il a dû faire face au périlleux exercice de la cohabitation
entre un premier ministre issu de la majorité et un Président de la république
appartenant à un parti minoritaire – ce qui arrive presque toujours dans un
régime parlementaire - le pays s’est retrouvé très vite bloqué, et pendant des semaines
les deux hommes n’ont pas pu tenir un
seul conseil des ministres. La dualité au sommet avait de fait coupé l’Etat en deux. C’est un coup d’état militaire qui a finalement
dénoué la crise ! C’est dire que l’importation d’institutions politiques
exogènes dans un contexte de construction démocratique peut être source de
blocages. Au regard des urgences qui sont aujourd’hui les nôtres je ne pense
pas que nous puissions nous payer le luxe de nous lancer dans une telle
aventure.
Je ne me satisfais pas pour
autant de la réponse de Macky Sall consistant à dire que tout se ramène en
définitive à une question d’hommes, simplement parce que sous toutes les
latitudes le pouvoir politique reste le même : si rien ne vient le limiter
il a tendance à être totalitaire. Il faut donc toujours légiférer à chaque fois
que cela est nécessaire, ce qui revient à ne pas faire confiance à la morale
supposée des hommes politiques comme Macky semble le suggérer. Si Wade et son
clan se sont tout permis pendant tout le temps qu’ils sont restés au pouvoir,
c’est parce que notre justice était et est encore sous tutelle. Une justice
libre et indépendante par rapport à l’exécutif est la condition sine qua non de la liberté et de
l’égalité des citoyens, et nulle
démocratie ne peut en faire l’économie. Dans toutes les grandes démocraties, elle
est le rempart le plus sûr contre les abus de pouvoir. Mais malheureusement,
sur cette question qui aurait dû être au centre des tractations en vue d’un
éventuel soutien à Macky Sall, nos hommes politiques sont restés très évasifs…