vendredi 24 juin 2011

Rêves de révolution



Qui disait que les évenements de Tunisie et d'Egypte n'étaient pas possibles au Sénégal ? Ce qui s'est passé ce jeudi 23 juin à Dakar autour de l'assemblée nationale n'est pas un épiphénoméne destiné à s'évanouir dans nos mémoires, mais quelque chose d'historique que nous devons méditer profondément. Jusque là tout le monde croyait , et Wade le premier, que l'on ne pouvait pas mobiliser les Sénégalais contre son régime, que c'était peine perdue que de vouloir s'y essayer. Wade s'est cru trop longtemps invincible, sans doute parce qu'il a toujours pensé que ce pays lui appartenait, lui et son clan, ou qu'il était plus intelligent que les autres. C'est un peuple uni et décidé qu'il a rencontré ce jeudi sur son chemin, ce même peuple qui l'avait pourtant porté au pouvoir, mais  qui n'accepte pas  son projet de monarchisation de la République. 
Ce qui est remarquable c'est que le déclic est venu du mouvement hip hop, même si l'opposition et la société civile ont tout encadré. Tout se passe comme si le face à face entre Wade et son opposition était condamné à s'éterniser et à ne pouvoir produire autre chose que de l'immobilisme . Et puis voilà, des jeunes qui d'habitude sont à la périphérie de la vie politique "normale" - malgré leur engagement radical - , sont venus dégripper la machine et lui redonner un souffle nouveau, permettant ainsi à l'espoir de renaître. Pourtant il ne s'agissait pas cette fois-ci de revendiquer contre la vie chére ou les coupures d'électricité, mais d'une révolte morale, d'une exigence éthique au sens fort du terme. Ce que les Sénégalais ont crié fort ce jeudi, c'est leur désir d'être au coeur des décisions que les hommes politiques sont appelés à prendre en leur nom, et qui les concernent au premier chef. Ils ne veulent plus être de simples spectateurs passifs quand leur destin est en jeu. Ils veulent désormais être les acteurs de leur propre vie parce qu' Ils ont compris que le pouvoir, même démocratiquement élu, est par essence et par définition totalitaire, si rien ne vient le limiter et le normer. Ils ont compris que le simple "jeu" des institutions ne suffit pas pour garantir la liberté et l'égalité entre les citoyens, mais qu'il faut que le peuple veille constamment sur celles-ci et sur ceux qui sont chargés de les faire fonctionner. Comment comprendre autrement la démocratie ? Bertold Brecht dit  que " tout pouvoir vient du peuple. Mais où diable va-t-il ? Parce qu'il va bien quelque part !" Il a raison Brecht, parce que le pouvoir du peuple va toujours quelque part : il est toujours confisqué, volé et retourné contre le peuple qui en était l'émanation. Or, contre une telle perversion il n' y a qu'un reméde, la vigilance et la mobilisation populaires. Les peuples de Tunisie et d'Egypte n'ont pas revendiqué autre chose que cela, et les sénégalais qui s'étaient assoupis à force de croire que les acquis démocratiques étaient définitifs semblaient l'avoir oublié. Aujourd'hui nous avons compris : le meilleur moyen de défendre la liberté c'est de ne jamais faire confiance à ceux et celles qui se font une vocation de nous diriger ! Si la démocratie est le pouvoir du peuple, - ce qu'il est en fait -, le pouvoir qui vient du peuple doit rester au peuple !