mardi 6 mars 2012

FAUT-IL ROMPRE AVEC LE RÉGIME PARLEMENTAIRE ?




Les tractations qui ont eu lieu ces derniers jours entre Macky Sall et ce qu’il est convenu d’appeler « le peuples des Assises nationales » ont porté, entre autres questions, sur l’épineux problème du régime politique qu’il faudrait adopter dans la perspective d’une refondation de nos institutions politiques. Question importante s’il en est, puisqu’il s’agit de se demander comment faire pour que le Président de la république ne puisse plus à l’avenir concentrer la totalité des pouvoirs entre ses mais, ce qui est en contradiction flagrante avec  le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs. Comme chacun sait, les Assises avaient préconisé l’adoption du régime parlementaire comme  remède contre l’hyper-présidentialisme incarné par  Wade tout au long de son règne.
Dans la toute première conférence de presse qu’il a donnée en tant que challenger du président sortant au deuxième tour, Macky Sall, fidèle en cela à la doctrine qui avait été la sienne lors des Assisses avait tenu à démontrer que dans le fond, nous n’avons pas tant un problème de régime politique qu’un problème de démocrates. Ce qui veut dire que quel que soit le régime politique, si les hommes qui sont chargés de veiller sur nos institutions ne sont pas à la hauteur, les problèmes demeureront. C’est par la suite, quand il a rencontré Amadou Maktar Mbow et les candidats parties prenantes aux  Assisses qu’il s’est engagé solennellement à appliquer l’intégralité des conclusions de celles-ci. C’est dire qu’il y a  donc unanimité autour de cette affaire. Or la question est loin d’être aussi simple qu’on le croit, et pour mettre en évidence tous les enjeux que cela implique il faudrait partir du fait qu’en matière d’institutions politiques, l’erreur à ne pas commettre serait de croire que tout se résume en fin de compte à un simple problème de montage juridique, ce que beaucoup de sénégalais seraient tentés de penser au regard de l’hyper-juridisation de notre débat politique. On ne peut pas concevoir des institutions qui sont censées s’appliquer à une société donnée sans tenir compte des traditions historiques et des spécificités culturelles et sociologiques de celles-ci. Les institutions de la Cinquième République qui font rêver nos élites, et auxquelles nous pensons spontanément lorsque nous parlons de régime parlementaire, ne sont pas juste un montage institutionnel, mais le fruit d’une longue évolution historique, dans un contexte social et culturel marqué par des luttes politiques dont on n’a plus idée aujourd’hui. On pourrait même dire qu’elles participent d’une certaine manière de l’identité politique française.
On voit par là que chaque peuple, en fonction de son histoire et de son niveau culturel doit se donner les institutions qui lui conviennent. Celles-ci pourront évoluer éventuellement, en même temps que la sociologie toujours particulière de la société en question. Un exemple suffisamment édifiant à ce sujet et qui devrait nous faire réfléchir est celui du Niger. Lorsque ce pays s’est doté d’un régime parlementaire et qu’il a dû faire face au périlleux exercice de la cohabitation entre un premier ministre issu de la majorité et un Président de la république appartenant à un parti minoritaire – ce qui arrive presque toujours dans un régime parlementaire - le pays s’est retrouvé très vite bloqué, et pendant des semaines les deux hommes  n’ont pas pu tenir un seul conseil des ministres. La dualité au sommet avait de fait coupé l’Etat  en deux. C’est un coup d’état militaire qui a finalement dénoué la crise ! C’est dire que l’importation d’institutions politiques exogènes dans un contexte de construction démocratique peut être source de blocages. Au regard des urgences qui sont aujourd’hui les nôtres je ne pense pas que nous puissions nous payer le luxe de nous lancer dans une telle aventure.
Je ne me satisfais pas pour autant de la réponse de Macky Sall consistant à dire que tout se ramène en définitive à une question d’hommes, simplement parce que sous toutes les latitudes le pouvoir politique reste le même : si rien ne vient le limiter il a tendance à être totalitaire. Il faut donc toujours légiférer à chaque fois que cela est nécessaire, ce qui revient à ne pas faire confiance à la morale supposée des hommes politiques comme Macky semble le suggérer. Si Wade et son clan se sont tout permis pendant tout le temps qu’ils sont restés au pouvoir, c’est parce que notre justice était et est encore sous tutelle. Une justice libre et indépendante par rapport à l’exécutif est la condition sine qua non de la liberté et de l’égalité des citoyens,  et nulle démocratie ne peut en faire l’économie. Dans toutes les grandes démocraties, elle est le rempart le plus sûr contre les abus de pouvoir. Mais malheureusement, sur cette question qui aurait dû être au centre des tractations en vue d’un éventuel soutien à Macky Sall, nos hommes politiques sont restés très évasifs…